Publié le 16/08/2022 dans Actu-environnement
Dans sa décision du 12 août 2022 relative à la constitutionnalité de la loi pouvoir d’achat, le Conseil constitutionnel a marqué une nouvelle étape dans la reconnaissance constitutionnelle des droits et devoirs en matière d’environnement et de climat.
Le Conseil avait été saisi par des députés et sénateurs contre la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat en ce qui concerne certaines dispositions de l’article 29 et sur les articles 30, 32 et 36. Les parlementaires contestaient les dispositions concernant la possibilité de maintenir en exploitation un terminal méthanier flottant pendant une durée indéterminée pour traiter des capacités indéterminées de gaz naturel. La seconde disposition concernait le rehaussement du plafond d’émission de gaz à effet de serre applicable aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossile. Enfin, la dernière disposition concernait la validation du décret prévoyant les modalités de cession des volumes additionnels alloués aux fournisseurs d’électricité du fait du rehaussement du plafond du volume global d’électricité nucléaire qu’EDF doit céder.
La décision est tout d’abord l’occasion pour le Conseil constitutionnel de rappeler, parmi les normes de référence, le préambule de la Charte de l’environnement, et en particulier la disposition selon laquelle la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. Le rappel du préambule figure dans les normes de référence sur un pied d’égalité avec les articles 1, 6 et 7 de la Charte de l’environnement.
Ainsi, le Conseil constitutionnel, dans la lignée de la jurisprudence du 20 janvier 2020 qui reconnaissait la protection de l’environnement comme objectif de valeur constitutionnelle susceptible de justifier les atteintes à la liberté d’entreprendre, rappelle que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.
Cette double affirmation est une avancée par rapport à la décision de 2020 en ce qu’elle vise d’une part les générations futures – ce qui est nouveau- et en ce que, d’autre part, leur valeur juridique est renforcée par la jonction qui est faite avec l’article premier de la charte. Les conséquences de cette affirmation de principe sont que les dispositions permettant le maintien en exploitation du terminal méthanier flottant et l’installation d’un terminal sur le site portuaire du Havre n’est possible que dans le cas d’une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz.
À partir de cette limitation de principe, le Conseil constitutionnel relit les dérogations procédurales prévues à l’article 30. Elles doivent être strictement proportionnées aux besoins du projet, toutes les mesures de protection de l’environnement doivent être mis en œuvre, l’information du public doit être assurée. Le Haut Conseil rappelle – ce qui n’est pas neutre sur le plan contentieux – que toutes les décisions prises en application des dérogations peuvent faire l’objet de recours devant le juge administratif, y compris par la voie du référé. Cela signifie très clairement pour le Conseil constitutionnel que l’utilisation du terminal méthanier qui ne respecterait pas un usage strictement proportionné à une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz serait inconstitutionnelle et devrait donc donner lieu à un référé suspension,voire à un référé liberté.
Le second point de la décision concerne le rehaussement des plafonds d’émission de gaz à effet de serre dont le Conseil constitutionnel juge très clairement, au point 20 de la décision, qu’il porte atteinte à l’environnement. Appliquant les mêmes principes que ceux qui viennent d’être énoncés, le Conseil constitutionnel souligne que ce rehaussement ne peut intervenir qu’en cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité de tout ou partie du territoire national et que l’obligation de compensation devra s’appliquer, à charge pour le gouvernement de fixer le niveau, les obligés et les modalités de cette obligation de compensation.
Cette décision a bien entendu une portée considérable pour l’application de la loi, qui ne pourra se faire qu’en fonction des réserves d’interprétation édictées par le Conseil constitutionnel. Ce qui signifie très clairement que le gouvernement s’exposerait à un contentieux quasi immédiat si la situation d’approvisionnement en gaz ou en électricité ne justifiait pas le recours à des dispositions contraires à la protection de l’environnement.
Mais elle va bien au-delà. En effet, en rappelant l’objectif de valeur constitutionnelle des considérants du préambule, qu’il s’agisse des générations futures ou de l’égalité de traitement entre la protection de l’environnement et les autres objectifs d’intérêt national, le Conseil constitutionnel pose de manière ferme un nouveau principe de gouvernement qui exclut que soient prises des mesures qui portent atteinte à l’environnement si elles ne sont pas justifiées par un impératif d’intérêt national. Parallèlement, toute disposition augmentant les émissions de gaz à effet de serre avec une justification d’un impératif d’intérêt national doit faire l’objet d’une compensation.
Appliquée à de nombreux domaines, en particulier des infrastructures, dont on n’arrive pas à comprendre aujourd’hui qu’elles puissent encore être envisagées (contournements divers et variés, accroissement des autoroutes, autoroutes en Camargue, etc.), cette jurisprudence est de nature à remettre en cause de nombreux projets pour contraindre enfin l’État à entrer dans la voie de ce qui n’est plus une transition mais une véritable transformation de notre société.
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Par Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement et avocate