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[Que signifie la disparition du Ministère de la Transition Energétique ? Par Corinne Lepage]

Le ministère d’État et le commissariat général au développement durable, est mort. Sans doute pouvait-on discuter de la place de l’écologie au sein d’un ministère de l’équipement qui avait certes changé de nom mais qui avait gardé toutes ses directions et qui, de surcroît, avait gagné l’énergie, autrefois logée au ministère de l’industrie et/ou au ministère de l’économie. En effet, l’intégration des directions de l’écologie stricto sensu, à savoir l’eau et la nature, s’était faite au sein d’une direction des habitats qui intégrait également les habitats artificiels, à savoir l’urbanisme. Mais les grandes directions du ministère de l’équipement restaient, avec de surcroît, une direction de l’énergie et bien entendu, une direction des risques. Cette dernière était conçue dès le départ de manière ambiguë puisque si la lutte contre les pollutions relève bien des questions environnementales, la délivrance des autorisations industrielles et toute la législation des ICPE ont un côté économique et industriel très marqué. Les errances du ministère de la transition écologique et solidaire au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron n’ont pas été un succès. Nous avons en réalité assisté à une série de mesures qui, sous couvert de simplification, ont déconstruit systématiquement les conquêtes de la démocratie environnementale.

La création d’un ministère de la transition énergétique à côté de celui de la transition écologique, tous deux situés au même endroit, constituait déjà une première étape de reconquête de la question énergétique par l’industrie de Bercy. Certes, cela réduisait sans doute la part des considérations écologiques et climatiques dans la politique énergétique de la France. Mais d’une certaine manière, cela permettait de sortir d’une forme d’hypocrisie qui a toujours régné autour de la question du nucléaire, gérée par la direction de l’énergie de manière finalement assez autonome. Le remplacement du commissariat général au développement durable par une inspection générale démontrait également du peu de cas traités dans le cadre de la stratégie écologique de la France, même si la création de la planification écologique sous l’égide du premier ministre se voulait une affirmation de la volonté politique de traiter le sujet de manière transversale.

Désormais, la suppression de ce ministère et le retour de la direction de l’énergie à Bercy achève cette œuvre de déconstruction, traduisant assez bien la situation dans laquelle se trouve la France ainsi que le retour à une conception énergétique qui date du XXe siècle. Le projet de loi sur la souveraineté énergétique revient en réalité à faire du nucléaire l’alpha et l’oméga de l’énergie en France, allant jusqu’à refuser d’inscrire dans la loi des objectifs en terme d’énergies renouvelables qui sont pourtant ceux que la France a accepté au niveau communautaire. Cela traduit en réalité une volonté objectivement fausse d’assimiler le nucléaire aux énergies renouvelables et d’acter le refus politique d’atteindre les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés. Le niveau de 46 % que nous devrions atteindre en 2030 (en effet, si l’objectif est de 42,5 % en moyenne, le nôtre pourrait être de 46 %) est inatteignable. Nous n’avons même pas été capables à l’aube de l’année 2024 d’atteindre l’objectif de 23 % fixé pour 2020. La vérité est que les obstacles administratifs de rentabilité et de raccordement au réseau se multiplient pour freiner le développement des énergies renouvelables qui nous est pourtant indispensable. En effet, comme le reconnaît le président d’EDF lui-même, il n’est pas envisageable que de nouveaux EPR – en dehors de Flamanville – puissent être raccordés au réseau avant 2040 -2045. Compte tenu de l’ancienneté de notre réseau, nous ne pouvons pas satisfaire nos besoins électriques, a fortiori d’électrification, avec simplement notre énergie nucléaire.

Dès lors, la phobie développée en France à l’égard des énergies renouvelables est une erreur historique majeure et une menace contre une réindustrialisation indispensable qui, contrairement à la croyance majoritaire, ne passe pas uniquement par le nucléaire. Il suffit en effet de se reporter au rapport de l’AIE publié hier, le 11 janvier 2024, pour constater la croissance fantastique des énergies renouvelables dans le monde, soit une augmentation de 50 % au cours de l’année dernière. Les prévisions de l’agence internationale de l’énergie pour les cinq prochaines années parlent d’elles-mêmes : 3700 GW de nouvelles capacités renouvelables seront mises en service au cours de la période 2023-2028 et le solaire et l’éolien représenteront 95 % de celles-ci ; en 2024, l’éolien et le solaire produiront plus d’électricité que l’énergie hydraulique et produiront plus que l’électricité nucléaire en 2025 ; en 2028, les sources d’EnR représenteront plus 42 % de la production mondiale l’électricité, dont 25 % de solaire et d’éolien.

Volontairement, la France refuse d’entrer dans cette logique et la séparation complète entre l’énergie et l’écologie traduit cette vision selon laquelle la souveraineté dépend du nucléaire alors même que la souveraineté est assurée par le vent et par le soleil.

En 2027, quand s’achèvera ce quinquennat, la France n’aura pas construit encore de nouveaux réacteurs nucléaires, mais elle aura raté le coche de la réindustrialisation grâce au renouvelable.