À la suite des propos du président Emmanuel Macron sur « la fin de l’abondance », l’avocate et ancienne eurodéputée Corinne Lepage décrypte la crise énergétique actuelle et les risques qui pèsent sur la société.
Par Pascale Tournier
Publié le 29/08/2022 – La Vie
Comment appréciez-vous les propos d’Emmanuel Macron selon lesquels il faut tabler à présent sur la fin de l’abondance, de l’insouciance et de l’évidence ?
En premier lieu, cette déclaration est assez indécente. L’abondance n’est pas valable pour tous. Mais on le sait depuis longtemps, les ressources de la planète ne sont pas infinies. Il est temps de prendre en considération cet état de fait, de construire un modèle économique différent. Et c’est en particulier vrai pour certaines ressources naturelles qui s’amenuisent de plus en plus, comme l’eau, les sols. Ce n’est pas vrai pour le soleil. Seuls les fous (et les économistes) peuvent encore croire en l’existence d’une croissance infinie dans un monde fini.
Que pensez-vous des propositions faites par certains écologistes de réguler le trafic des jets privés, ou encore d’interdire les piscines privées pour économiser l’eau ? Les plus riches doivent-ils être plus visés, car ce sont eux qui proportionnellement émettent davantage de gaz à effet de serre ou épuisent plus les ressources ?
Il nous faut embarquer tous nos concitoyens dans la grande transformation. Nous devons tous faire des efforts, mais cela doit se déployer de manière proportionnelle et juste. Il n’est pas possible de demander plus à ceux qui peuvent moins. Pour les jets privés, je suis favorable à l’interdiction de leurs vols s’il existe en échange une possibilité de vols réguliers. Mais attention à ne pas valoriser des mesures qui peuvent servir une forme de totalitarisme vert. Les droits individuels doivent être respectés. Les Français ne le supporteraient pas autrement.
Autre exemple montrant la nécessité d’être juste : il est bien pour faire des économies d’eau de favoriser les douches plutôt que les bains. Mais n’oublions pas que la consommation en eau des particuliers ne représente que 10 % de la consommation totale. EDF est le premier consommateur. Il en a besoin pour le refroidissement de ses centrales nucléaires.
Vous avez signé une tribune initiée par l’essayiste Pierre Calame appelant à la création d’un compte carbone individuel. De quoi s’agit-il ?
L’idée est qu’à chacun soit attribué un quota d’émissions de gaz à effet de serre. Si vous dépassez votre quota, vous payez et de façon progressive. Ce système inciterait les gens à faire plus attention et les entreprises, à réduire leur contenu carbone dans leurs produits. Ce serait vertueux. Le fruit de cette taxe carbone abonderait les caisses pour financer les investissements nécessaires à la transition. Et ils sont colossaux. Rien que pour la SNCF, il faudrait 100 milliards d’euros pour mettre ses trains en adéquation avec les impératifs écologiques.
L’impératif de sobriété s’invite-t-il désormais dans nos vies ?
D’un point de vue énergétique, c’est inévitable. Nous n’avons pas le choix, il faut baisser notre consommation. Le prix de gros de l’électricité est passé à 1 000 € du mégawattheure. Du jamais-vu. La moitié des réacteurs de nos centrales nucléaires sont à l’arrêt, et le renouvelable n’est pas en mesure de prendre le relais. L’évolution de la guerre en Ukraine crée une incertitude supplémentaire.
Mais on peut limiter notre consommation en ne réduisant pas forcément notre qualité de vie. Déjà si on éteint les appareils en veille ou si on supprime l’éclairage la nuit dans les bureaux ou les magasins, on gagne à chaque fois 10 % d’économies. En 1973, on nous avait demandé de faire baisser la température dans les intérieurs à de 19 °C, nous ne sommes pas morts !
Quelle lueur d’espoir voyez-vous dans ce sombre tableau de crise énergétique ?
Cette période nous oblige à prendre conscience. C’est un passage indispensable et qui nous pousse à agir. Il faut arrêter de parler. Je vois autour de moi de nombreuses personnes engagées, qui cherchent l’autonomie énergétique, changent leur manière de vivre. C’est très enthousiasmant. Mais je reste vigilante. Essayons de garder ce qui fait notre envie de vivre ensemble et ne versons pas dans une société de flicage généralisé.
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