Article de Corinne Lepage, Avocate à la cour et présidente de Huglo Lepage Avocats, présidente de l’Association des amis de la DDHU.
Ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage fut chargée par le président de la République française François Hollande, en juin 2015, de rédiger un rapport et d’établir une proposition de déclaration universelle des droits de l’humanité. Déposé en septembre de la même année, le texte s’inscrit dans le cadre de la COP21 (21e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la 11e conférence des parties siégeant en tant que réunion des parties au protocole de Kyoto (CMP11). Elle veut concevoir une nouvelle génération de droits, imposée par les questions environnementales et l’avenir de la Planète et de ses habitants. La proposition innove à plusieurs égards, notamment en soulignant le fait que l’humanité est désormais sujet de droit et que la notion de patrimoine de l’humanité s’est étendue aux biens culturels et naturels.
La déclaration universelle des droits et des devoirs de l’humanité s’inscrit dans les principes de la déclaration universelle des droits de l’homme et les principes de la charte des Nations unies qui bien entendu ont pour objectif la paix. Un article de la déclaration universelle des droits de l’humanité vise explicitement la paix c’est l’article IX ainsi rédigé : « l’humanité a droit à la paix, en particulier au règlement pacifique des différends, à la sécurité humaine sur les plans environnemental, alimentaire, sanitaire, économique et politique « .Ce droit vise, notamment, à préserver les générations successives du fléau de la guerre. L’article XVI fait obligation aux Etats d’assurer l’effectivité des principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration.
Le droit à la paix est donc pour cette déclaration une obligation qui se traduit par le droit au règlement pacifique des différends. En conséquence, il y a un manquement de la part de celui qui méconnaîtrait ce droit la paix en entrant en guerre comme l’a fait la Russie. Pour autant, la déclaration universelle des droits de l’humanité est de nature civile et non pénale. Cela signifie qu’elle ne s’immisce pas dans le processus de la Cour Pénale Internationale et de la qualification de crimes de guerre, a fortiori de génocide qui impliquent une procédure d’instruction sur des actes précis d’incrimination et des criminels nommément désignés. La notion de crime contre l’Humanité est née de même que celle de génocide des procès de Nuremberg avec une gradation dans le tragique entre crimes de guerre c’est-à-dire violation des lois de la guerre, crimes contre l’humanité qui sont des crimes imprescriptibles et génocide qui est un crime contre l’humanité concernant une population en raison de ses origines ethniques, religieuses, géographiques etc.
Cependant, ces concepts ont été pris en compte à plusieurs reprises dans le cadre de la déclaration universelle des droits de l’humanité. Tout d’abord, parmi les textes qui font référence à l’humanité sont évoquées les « lois de l’humanité » (Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 concernant les lois et les coutumes de la guerre sur terre et les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949)et la Reconnaissance des crimes contre l’humanité (Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg de 1945.
De plus, la rédaction donnée à l’article IX sous une apparence anodine contient un élément essentiel celui de sécurité humaine. Dans le rapport publié par la documentation française qui commente la DDHU et l’ explique, il est précisé :
« La référence au droit à la paix est relativement classique et renvoie, en particulier, au règlement pacifique des différends et plus généralement à tous les moyens pour y parvenir. Si le mot « désarmement » ne figure pas dans la dernière version de la Déclaration, l’intention de ses auteurs est sans ambiguïté et renvoie au moins aux conventions déjà signées dans ce domaine. Le fléau de la guerre qui figure en préliminaire de la Charte des Nations Unies est ici expressément rappelée.
L’innovation de cet article réside, en revanche, dans la notion de sécurité humaine.
Le concept de sécurité humaine complète utilement celui de sécurité internationale qui se focalise sur l’agression armée. Alors que la notion de sécurité humaine est bien ancrée en droit international, les Etats ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur sa définition. D’où le parti pris dans la Déclaration de ne pas définir cette notion.
L’approche retenue est, à dessein, large : elle prend en compte à la fois la dimension environnementale, alimentaire, sanitaire, économique et politique de la sécurité, ce qui fait écho notamment au droit à un environnement sain et à la satisfaction des besoins fondamentaux. ».
Comme le note le professeur Fernandez dans le commentaire qu’il a fait de cet article[1], « vu de près l’article vient renforcer les droits auxquels cette entité incertaine pourrait prétendre en mentionnant le concept de sécurité humaine. Celui-ci correspond en pratique à une conception extensive de la paix, à une interprétation de la sécurité internationale qui place en son centre l’individu et la lutte contre les « problèmes sans passeport ». Dans ces conditions l’article neuf …vient transcender certaines obligations interétatiques classiques en en faisant des revendications légitime de l’humanité dans son ensemble. Il sert en quelque sorte de pont entre le régime de sécurité collective mise en place par la charte et le droit international des droits de l’homme affirmé pas plusieurs conventions. Il conclut de la manière suivante : « garantir la sécurité humaine suppose de pouvoir agir en amont, de mettre l’accent sur la prévention et de s’attaquer aux causes premières des menaces identifiées. Une nouvelle approche des crises et conflits, multisectorielle, semble plus appropriée et la référence à la sécurité humaine fait la part belle à la condition des individus comme ressort décisif de la paix et la sécurité internationales. C’est d’ailleurs un pronom de la sécurité humaine que l’on a pu voir se développer des concepts comme la responsabilité de protéger. »
Autrement dit, la déclaration universelle des droits de l’humanité peut être vue comme un texte complémentaire des conventions traitant spécifiquement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Elle intervient en amont par l’obligation de maintenir la paix et plus largement la sécurité humaine, concept beaucoup plus ambitieux et large que celui de paix car incluant la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité de l’environnement, la sécurité personnelle la sécurité de la communauté et la sécurité politique. Si l’on reprend l’exemple de l’Ukraine, on constate qu’à côté des crimes de guerre désormais plus que probable, les atteintes multiples à la sécurité humaine sont avérées.
Si , dans le futur, la déclaration universelle des droits de l’humanité est intégrée et reconnue par tous -comme nous sommes nombreux à le souhaiter- elle pourrait permettre de fonder une action en responsabilité contre les Etats n’ayant pas assuré la sécurité humaine et ayant méconnu le droit à la paix dont se prévaut l’humanité.
[1] Déclaration universelle des droits de l’humanité commentaire article par article sous la direction de Christian Huglo et Fabrice Picot.