[Dans l’attente du webinaire consacré à ce projet de loi qui aura lieu le 30 août 2022 de 9h à 11h (inscription ICI), voici des réflexions préliminaires de Corinne Lepage, avocate associée fondatrice du cabinet HLA et ancienne ministre de l’environnement, sur ce texte].
Nul ne peut douter du retard abyssal de la France en matière d’énergies renouvelables qui résulte d’un choix politique délibéré : celui de sacrifier le développement de ces énergies sur l’autel du nucléaire.
Ses partisans ont, depuis 25 ans, tout fait pour empêcher l’installation d’éoliennes d’abord, puis du photovoltaïque ensuite. Cette politique s’est traduite par une réglementation abusive, un système de taxation empêchant la rentabilité des opérations d’autoconsommation collective, une politique de raccordement détestable…
Ainsi, la situation actuelle qui a fait de la France un grand importateur d’électricité en raison de la faible production nucléaire n’est pas tenable tant pour des raisons financières que pratiques… Cela n’est pas tenable non plus juridiquement car nous ne respectons pas nos engagements communautaires. Ce changement de cap est un impératif reconnu par tous, y compris la CRE.
La volonté du gouvernement de (re)lancer le renouvelable est donc tout à fait louable. Pour autant, le texte répond-il aux attentes ?
Les semaines qui viennent permettront bien évidemment d’ouvrir le débat .
Le texte est construit autour de plusieurs chapitres : deux ont une vocation assez générale, trois une vocation spécifique :
- Au titre des dispositions générales, le titre 1 et le titre 4.
- Au titre des dispositions particulières, des articles visant le photovoltaïque, l’éolien en mer et le gaz bas-carbone.
Les huit premiers articles qui constituent le titre 1 sont destinés à faciliter les procédures en instaurant un régime dérogatoire pour quatre ans. Il est intéressant de noter que l’article premier, qui cite les activités et opérations concernées, est infiniment plus large que les seules énergies renouvelables puisqu’il vise non seulement les activités de fabrication et d’assemblage destinées au développement des ENR et de l’hydrogène, mais aussi les réseaux publics, la préparation des déchets en vue de leur réutilisation, de leur recyclage ou de leur valorisation autre qu’énergétique, toutes les activités couvertes par la taxonomie (ce qui concerne la quasi-totalité des activités économiques qui s’inscrivent dans la durabilité), et enfin la modification d’installations ou leur remplacement si elles sont destinées à réduire l’empreinte carbone.
Compte tenu des coups de canif violents faits aux règles de procédure environnementale, l’impact effectif de ces dispositions pourrait être très notable, bien au-delà du développement des seules EnR qui doit évidemment être accéléré…
L’article 2 comme l’article 5 simplifient les procédures dans la droite ligne des opérations de déconstruction du droit de l’environnement engagées depuis 2017. La suppression des enquêtes publiques et leur remplacement par des consultations digitales, la possibilité d’engager des consultations ou des enquêtes publiques sans que tous les avis aient été au préalable rendus, pourraient être admises à la rigueur pour réduire les délais d’installation des ENR. Toutefois, compte tenu du contenu extrêmement vaste de l’article 1, ces mesures constituent une régression considérable de la démocratie environnementale.
Cependant, l’article 5, qui ne vise que les ENR, permet de ne pas passer par la révision du PLU mais par sa simple modification, ce qui effectivement est une bonne mesure.
A contrario, les articles 3 et 6 sont très problématiques et il n’est pas certain qu’ils passent le cap du Conseil constitutionnel si jamais le Parlement les votait en l’état.
L’article 3 permet de déroger au principe de non-régression environnementale en considérant que ce-dernier n’est pas mis en cause en raison de la modification des seuils de soumission aux études environnementales. Si l’on peut effectivement admettre que le développement des EnR est destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui favorise l’environnement y compris la biodiversité, on peut arguer qu’il n’y a pas réellement de réduction de la protection de l’environnement. Mais cet argument ne peut pas fonctionner pour toutes les activités visées par l’article premier du projet de loi.
Quant à l’article 6, il est encore plus problématique. Il vise à considérer qu’il y a une raison impérative d’intérêt public majeur a priori pour toutes les installations d’EnR et de transport. Le texte assimile en réalité la raison impérative d’intérêt public majeur à l’utilité publique. Or, cela est faux sur un plan juridique et l’abondante jurisprudence administrative ne corrobore absolument pas cette manière de voir les choses. De plus, la raison impérative d’intérêt public majeur dépend du site choisi et de l’absence d’alternative. Ainsi, en supprimant toute référence à ce critère, l’article 6 pose réellement un problème juridique et pourrait n’être pas en conformité avec le droit communautaire.
Les dispositions de procédure visées aux articles 6 et 7 visent à mettre en échec la jurisprudence du Conseil d’État en ce qui concerne l’impossibilité de remettre en cause la RIPM une fois la DUP devenue définitive, et en obligeant le juge administratif à surseoir à statuer pour permettre la régularisation, sauf à motiver le refus de surseoir.
Enfin l’article 8 prévoit des ordonnances concernant les réseaux et les règles de raccordement.
Au total, ces différentes dispositions ont toutes pour objectif de réduire considérablement les droits des citoyens, tant au niveau de la concertation et des enquêtes publiques qu’au niveau de la contestation des projets.
Si certaines d’entre elles, comme l’article 5, sont bienvenues et vont effectivement faciliter les choses, la philosophie générale du texte est tout à fait discutable.
D’une certaine manière, ce texte rend responsables les citoyens du retard pris par les ENR. Or, si effectivement, et en particulier dans le domaine éolien, le « tir au pigeon » contre les éoliennes est devenu pour certains, y compris dans la classe politique, un sport national, pour l’essentiel le problème n’est pas là, et en particulier pour le solaire comme on le verra ci-dessous.
Le risque de voir ces dispositions dérogatoires se généraliser n’est pas nul, alimentant la frustration de nombre de nos concitoyens.
Le titre II traite des questions liées au photovoltaïque.
En réalité, les réformes sont faibles et ne portent pas sur l’essentiel. Seront désormais autorisées l’utilisation des délaissés routiers et autoroutiers avec une simplification des systèmes de mise en concurrence, l’utilisation des friches dans la zone littorale, ainsi que l’utilisation des réserves industrielles de Saumures.
L’article 11 simplifie les règles de procédure pour pouvoir construire en zones de montagne dans des communes dotées d’une carte communale.
Un point important : l’obligation mise à la charge des exploitants de parking de plus de 2500 m² de réaliser des ombrières sur au moins 50 % des parkings dans un délai de trois ans pour les partis inexistants est de cinq ans pour les parkings de plus de 10 000 m². L’exposé des motifs précise que cela permettrait de créer entre 7 et 11 gigawatts. En revanche, il n’y a aucune disposition pour faciliter l’installation des toits solaires, encourager l’autoconsommation collective, alléger le TURPE et réduire les coûts de raccordement.
Le titre III concerne l’éolien en mer. Les articles 13 à 17 créent un véritable statut des éoliennes marines flottantes en assimilant les installations et les îles à des navires, en généralisant les règles applicables aux éoliennes flottantes dans la mer territoriale aux éoliennes à cheval sur la zone économique exclusive et la mer territoriale. De plus, l’article 17 permet, nonobstant les règles de la loi littorale, de mettre en place des installations de transport d’électricité.
Les dernières dispositions particulières concernent le gaz bas-carbone en créant un contrat particulier d’expérimentation.
Enfin, le titre IV intitulé « mesures transversales de financement des énergies
renouvelables et de partage de la valeur » contient deux types de dispositions.
Les premières ont pour objet d’ouvrir les possibilités de prise en charge des pertes en cas de vente d’électricité à des particuliers et de créer une forme de statut pour les PPA en mettant en compatibilité ces contrats avec le code de l’énergie.
Est rendue possible la prise en compte des variations de prix de manière à maintenir la compétitivité des entreprises par analogie avec ce qui se passe dans le domaine des contrats dits Excellium.
La deuxième disposition vise à instituer un partage de valeur par une ristourne sur les factures d’électricité pour les voisins des installations d’énergies renouvelables et les communes d’accueil. C’est une bonne initiative, mais il ne faut pas oublier que l’acceptabilité est d’autant plus grande que les habitants et/ou les collectivités locales sont porteurs de projets.
Il est certain que ce texte donnera lieu à de très nombreuses discussions en amont du Parlement et durant les débats.
Si l’intention est louable, la philosophie du texte est assez discutable. Il fait totalement l’impasse sur la massification susceptible de résulter de l’autoconsommation collective alors que nombre de nos concitoyens et de nos entreprises souhaitent se tourner vers la production décentralisée d’énergie.
Le projet de texte favorise à l’évidence les très grosses infrastructures en mer et les installations mal acceptées localement, à savoir généralement importantes et non portées par les habitants ou les collectivités territoriales. En revanche pour les plus petites installations qui pourraient permettre les meilleurs résultats le plus rapidement possible, les améliorations restent malheureusement à la marge.
Ce projet de loi fera l’objet d’un webinaire organisé par le cabinet Huglo Lepage Avocats, en partenariat avec Comwatt, le 30 août 2022 de 9h à 11h. Pour vous inscrire gratuitement, cliquer ICI.
Par Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement et avocate