You are currently viewing [Charte de l’environnement – Loi pouvoir d’achat : une avancée notable pour l’application de principes de la Charte de l’environnement – Commentaire par Corinne Lepage]

[Charte de l’environnement – Loi pouvoir d’achat : une avancée notable pour l’application de principes de la Charte de l’environnement – Commentaire par Corinne Lepage]

Énergie – Environnement – Infrastructures n° 10, Octobre 2022, comm. 68

Commentaire par Corinne Lepage

Charte de l’environnement

Accès au sommaire

Solution. – Cette décision du Conseil constitutionnel a pour origine une contestation par les parlementaires de différentes dispositions contenues dans la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Ces-derniers remettaient effectivement en doute la constitutionnalité de plusieurs articles de cette loi, à savoir les articles 29, 30, 32, 36, 39, 40, 41 et 46. Ces dispositions concernent notamment le régime de maintien en exploitation d’un terminal méthanier flottant, le réhaussement du plafond d’émission de gaz à effet de serre applicable aux installations de production électrique à partir de combustibles fossiles, ou encore les modalités de cession des volumes additionnels alloués aux fournisseurs d’électricité.

Seul l’article 46 de la loi, relatif à la remise par le Gouvernement d’un rapport d’évaluation sur les conséquences de l’utilisation d’huiles alimentaires usagées en guise de carburant au Parlement, a été déclaré contraire à la Constitution.

Impact. – Il s’agit d’une décision très importante pour l’application des principes contenus dans la Charte de l’environnement. En effet, le préambule est cité parmi les normes de référence sans hiérarchie particulière vis-à-vis des autres dispositions contenues dans la Charte, ce qui laisse la porte ouverte à une plus large mobilisation de ce texte lors de futures actions en justice. En outre, deux affirmations contenues dans ce préambule deviennent des principes à valeur constitutionnelle à effet direct, ce qui marque une avancée remarquable pour l’application des principes protecteurs du droit de l’environnement.

Cons. const., 12 août 2022, n° 2022-843 DC

Note :

Le Conseil constitutionnel avait été saisi par deux recours émanant de députés et de sénateurs contre la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, et plus spécifiquement contre certaines dispositions de l’article 29, ainsi que contre les articles 30, 32 et 36.

L’article 29 est relatif au régime de maintien en exploitation d’un terminal méthanier flottant. L’article 30 prévoit quant à lui des règles de procédure applicables au projet d’installation d’un terminal méthanier flottant sur le site portuaire du Havre. Les parlementaires contestaient ces dispositions au motif qu’elles méconnaissaient l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, ainsi que les articles 1, 5 et 6 de la Charte de l’environnement.

La deuxième disposition, celle de l’article 36, concernait le rehaussement du plafond d’émission de gaz à effet de serre applicable aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles.

Enfin, la dernière disposition était relative à la validation du décret prévoyant les modalités de cession des volumes additionnels alloués aux fournisseurs d’électricité du fait du rehaussement du plafond du volume global d’électricité nucléaire qu’EDF doit céder.

Le présent commentaire se concentrera sur les deux premiers sujets qui sont particulièrement intéressants à la fois quant à l’affirmation de la valeur des principes constitutionnels tenant à l’environnement et quant à l’usage qui en est fait par le Conseil constitutionnel grâce au mécanisme bien connu des réserves d’interprétation. Le communiqué de presse commentant cette décision précise d’ailleurs qu’il s’agit « d’une réserve d’interprétation formulée en des termes inédits ».

S’agissant du premier point, à savoir celui de la constitutionnalité des dispositions des articles 29 et 30, celui-ci donne lieu à une double affirmation de principe sous un mode assez novateur.

Le Conseil constitutionnel commence par rappeler les normes de référence en énumérant sans hiérarchie particulière les articles 1, 6 et 7 de la Charte, ainsi que le préambule de la Charte ainsi rédigé : « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel … l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains … la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Le préambule de la Charte de l’environnement, et en particulier la disposition selon laquelle la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation, retient ici l’attention. Ainsi, le rappel du préambule figure dans les normes de référence sur un pied d’égalité avec les articles 1, 6 et 7 de la Charte de l’environnement.

Sans doute, cette décision du Conseil constitutionnel s’inscrit-elle dans la lignée de la jurisprudence du 31 janvier 2020 (Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-823 QPC : JurisData n° 2020-001036) qui reconnaissait la protection de l’environnement comme objectif de valeur constitutionnelle susceptible de justifier les atteintes à la liberté d’entreprendre.

Néanmoins, cette présentation assez novatrice nous offre à l’avenir la possibilité de nous appuyer davantage sur le préambule de la Charte, lequel est d’ailleurs bien plus riche d’évolutions jurisprudentielles, voire de création jurisprudentielle, que les règles elles-mêmes.

Cette décision en est un parfait exemple. En effet, deux affirmations du préambule deviennent des principes de valeur constitutionnelle à effet direct :

Tout d’abord, le Haut Conseil souligne que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. Or, si l’indépendance de la Nation et les éléments essentiels de son potentiel économique sont des intérêts fondamentaux, la protection de l’environnement a la même valeur juridique. Par conséquent, les dispositions contestées, à savoir le maintien d’exploitation d’un terminal méthanier et l’installation d’un tel terminal sur le site du Havre, installations qui constituent par ailleurs une atteinte à l’environnement, ne sont envisageables qu’en cas de menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz ;

En outre, l’affirmation de ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins qui figure dans le préambule est une innovation. Sans aller jusqu’à la décision de la cour constitutionnelle de Karlsruhe (C. constit., 29 avr. 2021, Bundesverfassungsgericht) sanctionnant la loi allemande sur le climat en ce qu’elle n’assurait pas des droits et libertés des générations futures, le Conseil constitutionnel fait néanmoins un pas important en direction de la reconnaissance de droits des générations futures susceptibles de s’imposer à ceux des générations présentes.

Cette proclamation formulée, le Conseil constitutionnel procède au même raisonnement que celui qui est tenu à propos de l’autre principe de valeur constitutionnelle : l’appartenance de la protection de l’environnement aux intérêts fondamentaux de la Nation.

Cette double affirmation constitue donc bien une avancée par rapport à la décision de 2020 en ce qu’elle vise d’une part les générations futures – ce qui est nouveau – et en ce que, d’autre part, leur valeur juridique soit renforcée par la jonction faite avec l’article premier de la Charte. Les conséquences de cette affirmation de principe sont que les dispositions permettant le maintien en exploitation du terminal méthanier flottant et l’installation d’un terminal sur le site portuaire du Havre n’est possible que dans le cas d’une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz.

Après avoir analysé les prescriptions visant à prévenir les dangers et inconvénients pour l’environnement, notamment les obligations liées au démantèlement et à la renaturation du site, et avoir rappelé les limitations qui existent, à savoir des dérogations limitativement énumérées, une date butoir au 1er janvier 2025 a été fixée.

Le Conseil constitutionnel prévoit également une information préalable du public sur les incidences notables du projet, ainsi que l’obligation pour l’exploitant de réaliser une étude sur les impacts environnementaux associés à l’exploitation du terminal. Il ajoute un élément supplémentaire qui est loin d’être neutre : la possibilité que « les décisions de l’autorité compétente prises en application de ces dérogations [puissent faire] l’objet de recours devant le juge administratif y compris par la voie du référé ».

C’est très clairement une incitation de la part du Conseil constitutionnel à saisir le juge administratif dans l’hypothèse où toutes les limitations ne seraient pas respectées et surtout où il n’y aurait pas de menaces suffisamment graves sur la sécurité d’approvisionnement pour justifier l’exploitation du terminal.

De surcroît, la référence aux référés intègre à la fois le référé suspension et le référé liberté, qui sont deux procédures très rapides. Dans la mesure où ce sont des principes de valeur constitutionnelle, les conditions du référé liberté pourraient être satisfaites, permettant ainsi de bloquer l’utilisation d’un méthanier. La construction de la décision constitutionnelle est donc tout à fait opérationnelle.

Le second point de la décision concerne le rehaussement des plafonds d’émission de gaz à effet de serre dont le Conseil constitutionnel juge très clairement, au point 20 de la décision, qu’il porte atteinte à l’environnement. Appliquant les mêmes principes que ceux qui viennent d’être énoncés, le Conseil constitutionnel souligne que ce rehaussement ne peut intervenir qu’en cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité de tout ou partie du territoire national et que l’obligation de compensation devra s’appliquer. Ce sera à charge pour le Gouvernement de fixer le niveau, les obligés et les modalités de cette obligation de compensation.

Il précise en référence à l’article L.  229-55 du Code de l’environnement que les réductions et séquestration d’émissions issues de ces projets devront être mesurables, vérifiables, permanentes et additionnelles.

Ces réserves d’interprétation, de nature un peu différente de celles qui figurent pour les articles 29 et 30, sont en réalité très strictes et limitent rigoureusement l’applicabilité de la loi. Si le Gouvernement décidait de passer outre les réserves d’interprétation, il s’exposerait à un contentieux quasi immédiat dans la mesure où la situation d’approvisionnement en gaz ou en électricité ne justifierait pas le recours à des dispositions contraires à la protection de l’environnement.

Mais le Conseil constitutionnel va bien au-delà. En effet, en rappelant l’objectif de valeur constitutionnelle des considérants du préambule de la Charte, qu’il s’agisse des générations futures ou de l’égalité de traitement entre la protection de l’environnement et les autres objectifs d’intérêt national, le Conseil constitutionnel pose de manière ferme un nouveau principe qui exclut que soient prises des mesures qui portent atteinte à l’environnement si elles ne sont pas justifiées par un impératif d’intérêt national et, même lorsqu’elles sont justifiées, ou si elles ne sont pas proportionnées et indispensables. En outre, toute disposition augmentant les émissions de gaz à effet de serre mais justifiant d’un impératif d’intérêt national doit faire l’objet d’une compensation vérifiée et contrôlée.

Cette nouvelle obligation peut manifestement changer la donne pour de nombreuses infrastructures dont l’effet en terme d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est patent. Il en va notamment ainsi des infrastructures de transport, aéroports et autoroutes notamment, dont la justification de l’intérêt national peut être aléatoire et pour lesquels la compensation carbone changera manifestement l’équilibre financier du projet.

Ainsi, cette décision du Conseil constitutionnel constitue-t-elle un virage de la jurisprudence de ce dernier en matière d’environnement. Depuis la décision du 31 janvier 2020(Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-823 QPC : JurisData n° 2020-001036 ; Énergie – Env. – Infrastr. 2021, repère 8) qui reconnaissait en la protection de l’environnement un principe de valeur constitutionnelle, les décisions rendues avaient plutôt été décevantes. La décision du 12 août 2022 tranche tant au niveau des principes que de leur opérationnalité, de nouvelles voies extrêmement prometteuses à la protection de l’environnement à partir des principes et des règles de valeur constitutionnelle.

Mots clés : Environnement et développement durable. – Principes du droit de l’environnement. – Charte de l’environnement. – Protection de l’environnement

Charte de l’environnement – Loi pouvoir d’achat : une avancée notable pour l’application de principes de la Charte de l’environnement – Commentaire… – Lexis 360®