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[Demeter devant ses juges]

Par jugement en date du 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris a constaté l’illégalité de la constitution de la cellule Demeter qui était chargée d’une mission de police préventive idéologique. Il a enjoint au ministère de l’Intérieur de mettre un terme à cette cellule dans un délai de deux mois, injonction assortie d’une astreinte de 10 000 € par jour de retard passé ce délai.

Toutefois, dans ce jugement, les requêtes déposées par les associations à l’encontre de la convention liant le ministère de l’Intérieur à la FNSEA ont été rejetées. Sous couvert de lutter contre « l’agribashing », cette convention a principalement pour objectif d’éviter l’expression de toute mise en cause de l’agriculture intensive. Les juges n’ont pas jugé cette convention légale, mais ont fondé leur rejet sur le défaut d’intérêt à agir des tiers à cette convention, à savoir les associations.

Or, cette décision semble contradictoire.  En effet, juger illégale la menace que représente la cellule Déméter sur la communication et les contestations contre l’agriculture intensive et chimique tout en retenant l’absence d’intérêt à agir des associations contre la convention conclue entre la FNSEA et le ministère de l’Intérieur à l’origine de cette menace semble illogique si l’on prend en considération que ces associations ont justement pour objet de lutter contre les dérives du secteur agricole.

Mais, surtout, interdire l’accès au prétoire à ceux contre lesquels sont imaginés des conventions de cette nature, à savoir en l’espèce les associations, est une menace indéniable pour les libertés publiques et pose, au-delà du sujet lui-même, une question de fond.

La loi est claire : elle interdit la délégation de service public ayant pour objet des missions de police conclue avec des entités privées. Par conséquent, il ne peut y avoir contrat de cette nature. La confusion des genres entre d’une part la répression d’activités illégales sur laquelle tout le monde est d’accord, et d’autre part la surveillance de citoyens, dont le seul tort est de défendre une alimentation saine et durable est très dangereuse. Cela pourrait entrainer des dérives de la part de l’Etat qui pourrait s’en servir de modèle pour les autres domaines d’activités dès lors qu’il y trouverait à redire.

La liberté d’expression est bien rare dans le monde contemporain. Sans la liberté d’exprimer des opinions, il ne peut y avoir de démocratie, ni de contrôle de l’action publique, et encore moins d’État de droit.

Le tribunal administratif n’est pas allé jusqu’au bout de son raisonnement et de celui de sa rapporteure publique qui proposait la dissolution pure et simple de la cellule Demeter.

En demandant simplement que celle-ci n’ait plus comme mission la « police idéologique », le tribunal a rendu une décision de principe qui risque fort d’être inutile.

Comment interpréter autrement la rapidité de l’acceptation de la décision par le ministère de l’Intérieur sinon que le tribunal a donné un simple coup d’épée dans l’eau. La cellule Déméter poursuivra son travail tout en prenant quelques petites précautions. Il convient également de souligner qu’aucun acte de n’importe quelle nature n’a été publié au JO, ni même dans le recueil des actes administratifs du ministère de l’Intérieur.

Seule la suppression de la cellule et le retrait de la convention pourrait permettre de faire prévaloir l’Etat de droit.

Corinne Lepage, Avocate et ex-ministre de l’Environnement