Les espèces protégées sont un levier pour préserver l’usage agricole des terres.
Le jugement du tribunal administratif de Grenoble s’inscrit dans un débat jurisprudentiel relativement récent mais intense qui est celui de la dérogation au principe d’interdiction stricte d’atteinte à la biodiversité protégée (« dérogation espèces protégées).
Cette interdiction d’origine européenne vise à préserver la biodiversité afin de contribuer au développement durable. A l’heure où la COP 15 s’achève sur un accord ambitieux mais indispensable, on mesure tout l’enjeu attaché au respect de cette réglementation de protection.
Précisons d’emblée que ce principe d’interdiction stricte des atteintes aux espèces de faune et de flore protégées n’est pas total et incompatible avec la réalisation de tout projet humain. Certains projets peuvent évidemment être réalisés, mais uniquement ceux qui sont d’une importance telle qu’ils puissent être mis en balance avec la nécessaire préservation de la biodiversité (Article L411-2 C. environnement).
La dérogation espèces protégées est ainsi au cœur de nombreux contentieux autour de projets majeurs d’infrastructures ferroviaires, routières, de production d’énergie ou encore de zones commerciales.
Le degré d’atteinte aux espèces impactées par un projet qui déclenche la nécessité ou non de demander une telle dérogation a connu une actualité très récente avec un avis rendu par le Conseil d’Etat le 9 novembre dernier (CE, 9 décembre 2022, n° 463563).
La Haute Juridiction a précisé à cet égard que :
- une dérogation doit être demandée si le projet en cause comporte pour des espèces protégées un risque suffisamment caractérisé ;
- ce risque s’apprécie en tenant compte des mesures d’évitement et de réduction prévues pour écarter ou limiter les atteintes aux espèces, et uniquement celles-ci ; l’incidence des mesures de compensation ne devant pas être pris en compte.
C’est sur ce dernier point que le Tribunal a prononcé l’annulation de l’autorisation environnementale permettant la réalisation de l’Ecoparc du Genevois, un projet dont l’objet est de créer une zone commerciale sur des terres agricoles de qualité.
Aucune dérogation espèces protégées n’avait été demandée considérant que l’incidence du projet à leur égard était faible.
Néanmoins cette appréciation reposait sur l’impact résiduel du projet après prise en compte de mesures d’évitement et de réduction qui incluaient des mesures correspondant, en réalité, à des mesures de compensation. Le Tribunal a alors suivi l’avis du Conseil d’Etat et écarté la prise en compte de ces mesures dans l’appréciation de l’incidence réelle du projet sur les espèces protégées concernées. Il a, à ce titre, justement retenu que sans prendre en compte ces mesures de compensation, le risque pour les espèces protégées était suffisamment caractérisé et qu’en conséquence une dérogation espèces protégées aurait dû être demandée.
Cette décision est l’une des premières décisions appliquant l’avis du Conseil d’Etat sur la notion de compensation. Le débat jurisprudentiel devrait se déplacer sur cette notion et celle de l’impact caractérisé, mais le Conseil d’Etat ne l’a pas éteint, c’est une certitude.
Par Raphaëlle Jeannel, Avocate