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[Le statut de « forêt de protection » largement fragilisé par un nouveau décret (n°2023-1402 du 29 décembre 2023)]

Par Maître Guillaume Cornu

Le décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023 relatif à la modification du classement comme forêt de protection et au régime spécial prévu à l’article L. 141-4 du code forestier a été publié au JORF du 31 décembre 2023.

La notion de « forêt de protection pour cause d’utilité publique »

Une forêt de protection constitue une servitude d’utilité publique qui vise à protéger de façon durable une forêt ou un bois.

L’article L. 141-1 du code forestier fixe la liste des bois et forêts pouvant faire l’objet d’une telle protection, pour cause d’utilité publique, après enquête publique au sens du code de l’environnement :

  • Les bois et forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables ;
  • Les bois et forêts situés à la périphérie des grandes agglomérations ;
  • Les bois et forêts situés dans les zones où leur maintien s’impose soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population.

Conformément à l’article L. 141-2 du même code, le classement en forêt de protection « interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements ».

Ces forêts sont soumises à un régime spécial fixé au sein du code forestier.

Les modifications apportées par le décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023

Le décret dont il est question modifie ce régime spécial applicable en forêts de protection.

I. Un déclassement facilité. – Son article 1er vient tout d’abord compléter l’article R. 141-9 du code forestier. Celui-ci prévoyait que la décision de classement, ou de modification du classement, est prise par décret en Conseil d’Etat. Désormais, l’article précise que la modification du classement est prise par le ministre chargé des forêts (le ministre de l’Agriculture) si elle réunit trois conditions cumulatives, à savoir :

  • Elle a pour seul objet le retrait de certaines parcelles ou parties de parcelles du périmètre de la forêt de protection ;
  • Elle n’aboutit pas à ce que les retraits cumulés de parcelles ou parties de parcelles effectués par arrêté depuis le dernier décret fixant ou modifiant ce périmètre excèdent 2 % de la superficie classée en application de ce décret, dans la limite de 100 hectares au total ;
  • Elle ne compromet pas les enjeux qui ont motivé le classement.

Ainsi, il n’est plus nécessaire d’en passer par un décret en Conseil d’Etat pour obtenir le déclassement du statut de forêt de protection ce qui fait disparaitre les garanties juridiques que présentait l’ancienne procédure.

II. La fin de l’interdiction de principe. – Le décret modifie ensuite l’article R. 141-14 du code forestier. Celui-ci prévoyait une interdiction de défrichement, de fouille, d’extraction de matériaux, d’emprise, d’exhaussement du sol ou de dépôt au sein d’une forêt de protection. Ces dispositions ont été remplacées.

Dorénavant le propriétaire pourra engager de telles opérations ainsi que les opérations de défrichements au sens des articles L. 341-1 et -2 du code forestier dès lors que ces travaux ont pour objet de créer les équipements indispensables à :

  • La mise en valeur et à la protection de la forêt ;
  • La prévention des risques naturels ;
  • La restauration des habitats naturels ; et,
  • Le rétablissement des continuités écologiques, en privilégiant, pour ces dernières, les solutions fondées sur la nature.

De plus, ces ouvrages :

  • Ne devront pas modifier fondamentalement la destination forestière des terrains ;
  • Ne devront pas compromettre les exigences de conservation ou de protection des boisements ;
  • Ne devront pas avoir fait l’objet d’une opposition de la part du préfet après l’écoulement d’un délai de deux mois à la suite de son information.

Dans les mêmes conditions que celles présentées ci-dessus, le propriétaire peut engager des travaux visant à créer des équipements légers indispensables à l’accueil du public (hors installations touristiques à caractère économique) dès lors que :

  • L’équipement est démontable ;
  • Il ne compromet pas les objectifs du classement ni un retour du site à son état initial.

Bien que ces opérations soient encadrées et nécessitent le respect d’un certain nombre de conditions, la disparition de l’interdiction de principe est contestable au regard de la pression que subissent nos forêts, qu’il s’agisse de la pression liée au réchauffement climatique ou de celle liée aux activités anthropiques.

Le décret complète encore l’article R. 141-16 du code forestier en ajoutant que les travaux de surveillance, d’entretien, de remplacement et de maintenance relatifs à des canalisations, des réseaux enterrés d’eau, d’électricité ou des réseaux filaires, sont également autorisés à condition qu’ils soient effectués conformément à une convention établie entre le propriétaire des parcelles concernées et l’exploitant de la canalisation.

III. De nouvelles opérations de travaux en forêt de protection. – Enfin, l’article 1er du décret crée une sixième sous-section au sein du régime spécial des forêts de protection. Pour information, les sous-sections trois, quatre et cinq permettent, au sein des forêts de protection, d’obtenir une autorisation :

  • De travaux de recherche et de captages d’eau destinée à la consommation humaine ;
  • De fouilles et sondages archéologiques ;
  • De recherche ou d’exploitation souterraine des gisements d’intérêt national de gypse.

Cette nouvelle sous-section vise à fixer les conditions dans lesquelles il sera possible d’obtenir une autorisation pour les travaux autres que ceux visés ci-dessus. La création de cette sous-section et son intitulé interroge.

Le décret crée un article R. 141-38-10 au sein du code forestier qui dispose que les défrichements et autres fouilles, extractions de matériaux, emprises, exhaussements du sol ou dépôts peuvent être admis dans le périmètre d’une forêt de protection, après l’obtention d’une autorisation délivrée par le préfet, dans le cadre de la réalisation :

  • De travaux de maintenance, réhabilitation, entretien et extension limitée d’immeubles, d’infrastructures et d’installations existantes, à condition qu’ils soient en harmonie avec le site et les constructions existantes ;
  • De travaux d’implantation de canalisations, de réseaux enterrés d’eau ou d’électricité ou de réseaux filaires, à condition qu’ils soient réalisés sur des emprises non boisées déjà existantes, qu’ils ne puissent être réalisés ailleurs qu’en forêt de protection, qu’ils correspondent à des nécessités techniques et que les terrains soient remis en état à l’issue des travaux ;
  • De nouveaux aménagements légers et nécessaires à l’exercice des activités agricoles, pastorales et forestières, dont la surface de plancher et l’emprise au sol, au sens de l’article R*. 420-1 du code de l’urbanisme, n’excèdent pas cinquante mètres carrés, à condition qu’ils soient en harmonie avec le site et les constructions existantes ;
  • Sur une emprise temporaire, de travaux nécessaires à l’entretien et à l’aménagement d’une infrastructure publique située hors d’une forêt de protection, à condition qu’ils ne puissent être réalisés ailleurs qu’en forêt de protection, qu’ils correspondent à des nécessités techniques et que les terrains soient remis en état à l’issue des travaux ;
  • Sur une emprise temporaire, de travaux nécessaires à la réalisation d’un projet d’utilité publique dont l’emprise est située en dehors d’une forêt de protection, pour la durée du chantier uniquement, à condition qu’ils ne puissent être réalisés ailleurs qu’en forêt de protection et que les terrains soient remis en état à l’issue des travaux.

Une fois encore c’est un système d’autorisation sous conditions qui a été mis en place. En effet, l’autorisation ne sera délivrée que si les travaux ne compromettent pas les exigences de conservation ou de protection des boisements, ne modifient pas fondamentalement la destination forestière des terrains et ne sont pas susceptibles de nuire à la conservation de l’écosystème forestier ou à la stabilité des sols dans le périmètre de protection.

Cependant, les forêts bénéficiant du statut de forêt de protection étaient protégées contre ce type d’opérations jusqu’à présent. C’est une nouvelle brèche dans la protection que leur confère ce statut.

IV. Contenu de la demande d’autorisation. – Le décret crée ensuite un article R. 141-38-11 au sein du code forestier qui établit la liste des éléments devant figurer dans la demande d’autorisation transmise au préfet par le pétitionnaire. La demande doit comporter :

  1. Un rapport de présentation des travaux projetés accompagné d’un calendrier prévisionnel, d’un plan parcellaire, d’un plan de la zone à l’échelle 1/10 000, des schémas d’accès et de circulation et d’un schéma indiquant la nature et l’emplacement des équipements dont la mise en œuvre est envisagée ;
  2. L’analyse de l’incidence des travaux projetés sur la destination forestière des lieux et les modalités de reconstitution de l’état boisé au terme des travaux ;
  3. Une analyse des incidences négatives et positives, directes et indirectes, temporaires et permanentes, à court, moyen et long terme, du projet sur le bien-être des populations et la prévention des risques naturels, sur l’environnement, en particulier sur la faune et la flore, les habitats naturels et les continuités écologiques telles que définies par l’article L. 371-1 du code de l’environnement ainsi que de l’addition et l’interaction de ces incidences entre elles ;
  4. Les mesures prévues afin d’éviter les incidences négatives, identifiées par les analyses prévues aux 2° et 3°, de réduire les incidences n’ayant pu être évitées et de compenser, lorsque cela est possible, les incidences négatives du projet qui n’ont pu être ni évitées ni suffisamment réduites, en précisant les conditions de remise en état des lieux au terme des travaux qui prévoient, sans modifier fondamentalement la topographie initiale des terrains concernés, le reboisement du site en essences forestières conformément aux directives et schémas mentionnés à l’article L. 122-2 du code forestier.

V. Procédure administrative. – Le décret crée un article R. 141-38-12 toujours au sein du code forestier qui précise que le préfet dispose d’un délai de quatre mois à compter de la réception du dossier complet de demande d’autorisation afin de prendre sa décision, étant entendu que son silence vaut décision de rejet.

Il prend cette décision après consultation du conseil scientifique régional du patrimoine naturel prévu à l’article L. 411-1 A du code de l’environnement et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites prévus à l’article L. 341-16 du même code. Ils disposent d’un délai de trois mois à compter de leur date de saisine, en l’absence de réponse au terme de ce délai, leur avis est réputé favorable.

L’article précise que le préfet statue sur le fondement « du dossier de demande d’autorisation prévu à l’article R. 141-38-11 sur les modalités d’exécution des travaux prévus à l’article R. 141-38-10 en vue de limiter leurs incidences sur la stabilité des sols, la végétation forestière et les écosystèmes forestiers ainsi que sur les modalités de remise en état des lieux au terme des travaux ». Le préfet prend acte de ces modalités dans sa décision et peut les compléter par des prescriptions particulières.

Enfin, en cas de méconnaissance des modalités ou prescriptions particulières évoquées dans sa décision, il peut, après mise en demeure, ordonner leur exécution dans un délai qu’il fixe ne pouvant être inférieur à un mois.

Si le manquement persiste à l’issue de ce délai, le préfet peut ordonner la suspension des travaux, le rétablissement des lieux en l’état et, le cas échéant, son exécution d’office.

En définitive

A l’heure de l’objectif « ZAN », de la lutte contre le réchauffement climatique, de la sauvegarde de la biodiversité, on ne peut que déplorer les risques d’artificialisation que ces dispositions font courir sur nos espaces forestiers.

Certes ces opérations sont encadrées et nécessitent l’obtention d’une autorisation, mais la disparition de l’interdiction de principe est contestable au regard de la pression que subissent d’ores et déjà nos forêts aujourd’hui.

Pour plus d’informations :

Décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023 relatif à la modification du classement comme forêt de protection et au régime spécial prévu à l’article L. 141-4 du code forestier : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048736230