Colloque organisé par la CEPAA (Compagnie nationale des experts judiciaires en productions agricoles et agro-alimentaires, activités
environnementales et horticoles) en collaboration avec les Éditions Législatives du groupe Lefebvre Dalloz, le 25 janvier 2022.
Introduction
Corinne Lepage, ancienne ministre et avocate, a rappelé que le maintien de la biodiversité et des milieux est un sujet
majeur que l’on ne peut dissocier de la question climatique et de la santé humaine. Aujourd’hui, l’évaluation environnementale est au cœur de tous les projets : sans autorisation environnementale, les projets ne peuvent aboutir.
Elle est la base pour justifier ou non du motif impérieux et d’intérêt général conduisant à déroger à la conservation
des espèces et espaces protégés.
Le panorama juridique de l’évaluation environnementale
(interventions de Camille Vinit et Olivier Cizel, des Éditions Législatives ; Christian Huglo, avocat au sein du cabinet Huglo-Lepage)
L’évaluation environnementale est un dispositif européen transposé en droit français qui, sous pression juridictionnelle, est en pleine évolution. Ce dispositif s’applique d’une part aux plans et programmes et d’autre part aux projets publics ou privés et se présente comme un processus conduisant l’autorité environnementale à donner un avis avant validation du projet par l’autorité compétente. L’évaluation environnementale sert à décrire et apprécier de manière appropriée et proportionnée les incidences du projet sur populations, santé, biodiversité, terres, habitats, sol, eau, air, climat, patrimoine naturel, paysage et les interactions entre ces
facteurs.
En droit français, le mécanisme a été transposé dans une nomenclature qui décrit les projets soumis ou non à étude d’impact. Deux types de projets sont répertoriés : les projets systématiquement concernés par une étude d’impact et les projets au « cas par
cas » pour lesquels une autorité détermine la nécessité ou non de l’étude d’impact. Dans un arrêt d’avril 2021,
le Conseil d’État a contraint le gouvernement à réviser le dispositif, le jugeant insuffisant car ne prévoyant pas
qu’un projet qui peut avoir un impact sur l’environnement par d’autres caractéristiques que sa dimension ne soit
soumis à évaluation environnementale.
Le gouvernement a rédigé un projet de décret – « clause filet » – qui prévoit de soumettre à la procédure du « cas par
cas » un projet susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement même s’il est en-deçà des seuils fixés
dans la nomenclature.
Le contenu de l’étude d’impact doit non seulement décrire les incidences négatives du projet sur l’environnement mais aussi décrire les mesures pour éviter ou réduire ses dommages et compenser ceux qui ne peuvent être ni évités, ni réduits. La séquence « éviter, réduire, compenser » s’appuie sur l’article L110-2 du Code de l’environnement. Si la loi prévoit une séquence progressive, il est à noter que les maîtres d’ouvrage qui demandent une autorisation environnementale privilégient la séquence « compenser » dans la mesure où « éviter » conduirait à changer de site et « réduire » à modifier significativement le projet. La compensation
s’inscrit dans les textes de droit public et de droit privé. Les motifs de rejets sont fixés dans la directive. Même si la
jurisprudence évolue et que les juges contrôlent mieux la séquence, les sanctions en cas de non-respect sont très
faibles et les contrôles peu nombreux.
Il en résulte certes une réduction des pertes de biodiversité mais l’érosion de celle-ci n’est pas stoppée et les études
montrent que nous sommes en perte de territoire de l’équivalent de la superficie d’un département comme le Gard
tous les 15 ans.
Pour une meilleure efficacité de la séquence, de nouveaux objectifs ont été définis notamment par la loi climat
et résilience d’août 2021 qui demande aux territoires de baisser de 50 %, d’ici la fin de la décennie, le rythme d’artificialisation des espaces agricoles, naturels et forestiers et prévoit zéro artificialisation à l’horizon 2050. Des dispositifs sont également à l’étude
comme celui, expérimental, pour récupérer les friches afin d’éviter l’artificialisation.
La mise en pratique de l’évaluation environnementale
(interventions de Laurent Legeay,de la DREAL des Hauts de France ; Baptiste Faure, de Biotope ; Marion Beaurepaire, du syndicat mixte
Oise-Aronde ; Aryendra Pawar, de la Fédération de la Somme pour la pêche et la protection des milieux aquatiques)
Lors d’une évaluation environnementale, l’autorité environnementale (autorité administrative compétente en
matière d’environnement, en région : les MRAe) rend un avis sur les projets susceptibles d’avoir des incidences
notables sur l’environnement et sur les mesures de gestion visant à éviter, atténuer ou compenser ces impacts.
Cette autorité émet un avis sur la qualité des études d’impact des projets et sur la manière dont ils prennent en
compte l’environnement. Un respecte de la séquence « éviter, réduire, compenser » est attendu et plus particulièrement l’évitement des impacts négatifs significatifs sur l’environnement.
Ainsi, l’évaluation environnementale contribue à opérer des choix d’aménagement pertinents au regard des enjeux environnementaux et à prévenir les atteintes à l’environnement. Elle permet aussi de justifier les choix retenus. C’est une aide à la conception
du meilleur projet et une aide à la décision. Dans la séquence « éviter, réduire, compenser », l’évitement est la
seule solution permettant d’assurer la non-dégradation du milieu et doit donc être mise en place bien avant les projets, dans les documents d’urbanisme.
L’évaluation environnementale permet ainsi d’évaluer les impacts du projet notamment sur les zones humides.
L’évaluation environnementale permet ainsi d’évaluer les impacts du projet notamment sur les zones humides.
Celles-ci sont définies par la loi sur l’eau de 1992 selon deux critères : les sols hydromorphes et la présence de végétation hygrophile, particulièrement riches en biodiversité. Ces milieux sont fragiles et soumis à de nombreuses contraintes dues aux activités humaines.
Les différents exemples présentés, relatifs à des zones humides, sont intéressants pour appréhender la notion de compensation. Si la priorité est donnée à l’évitement puis à la réduction, dans la pratique c’est la compensation qui est la plus répandue. La compensation est cadrée à travers le SDAGE (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) qui est défini au
niveau local par les Agences de l’eau, mais on observe une grande disparité au niveau national. En compensation,
le SDAGE privilégie la restauration des zones humides puis la création de zones humides avec équivalence sur le plan fonctionnel. Il prévoit une équivalence de surface mais les ratios des surfaces compensées couvrent de 100 à 200 % des surfaces impactées selon
les agences de l’eau. La compensation doit se faire sur le même territoire du SDAGE et les fonctions des zones
humides sont évaluées selon la « méthode nationale d’évaluation des zones humides » qui analyse les fonctions
hydrologiques, biogéochimiques et les fonctions d’accomplissement du cycle de développement des espèces. L’étude
se fait à la fois sur le site impacté et sur le site de compensation, qui doit se trouver au plus proche du projet. Une
fois le terrain identifié, les diagnostics et l’évaluation des gains réalisés, les plans de restauration et de gestion sont
établis.
Le projet de restauration des marais de Sacy dans l’Oise intervient en compensation d’un projet routier entre Creil et Compiègne où 10 à 15 ha de zones sont détruites. Choisi après évaluation de son intérêt, ce site est une ancienne zone de marais dont le milieu s’est fermé, l’agriculture et l’entretien ayant été abandonnés. Un plan de gestion a été établi et les travaux de restauration programmés en 4 phases entre 2021 et 2027. Et un programme d’entretien sur 30 ans a été défini et budgété. En effet le bénéfice attendu
de la restauration ne peut être pérennisé que si le site reste une mosaïque de milieux : milieux herbeux et humides,
milieux aquatiques et milieux boisés garants d’une grande biodiversité. Des opérations de suivi sont également
programmées pour évaluer le gain écologique et l’efficience des mesures prises. Ainsi, les mesures de compensation sont un pari sur l’avenir et protéger les milieux reste la meilleure garantie de la pérennité des zones de biodiversité.
L’exemple de la véloroute de la vallée de la Somme montre un exemple de compensation au titre de l’artificialisation des berges de la Somme avec une perte de 2 ha de zones humides et de roselières. L’association de la fédération de la Somme pour la pêche et la
protection des milieux aquatiques dès les phases initiales du projet a permis au-delà de la compensation d’aménager des zones de reproduction pour les brochets. Cet aménagement est un plus en termes d’environnement et de biodiversité. Ce projet démontre l’intérêt de faire intervenir tous les acteurs d’un secteur afin de ne pas se limiter aux contraintes de la règlementation et de
faire évoluer un projet vers plus d’ambition et/ou d’efficacité.
Conclusions
(par Maître Huglo, avocat)
Le Code de l’environnement publié en 2001 repose sur le droit contre les pollutions et le droit pour les protections ; alors que pendant des années il a été privilégié le droit contre la pollution – c’est-à-dire le bien-être des individus –, il a été oublié le patrimoine. Il est nécessaire plus que jamais maintenant de relier la protection de l’environnement et la protection de
la biodiversité à la lutte contre le réchauffement climatique. Pour cela, il existe maintenant une documentation
tout à fait intéressante qui est importante pour les juristes. Il faut miser sur le droit communautaire et le droit
interne : nous avions une législation très rigide mais le site classé n’a jamais empêché effectivement la perte
de biodiversité. Il fallait trouver des nouveaux éléments adaptés et l’Europe y est pour beaucoup (Sites Natura
2000, ZNIEFF à différents niveaux qui couvrent environ 15 % du territoire de l’Europe). L’Europe reste le leader sur
la question du droit environnemental :
il n’y aurait jamais eu autant de développements sur les protections sans les directives « Oiseaux » et « Habitats ».
Le Programme européen du Green Deal présente certains axes avec zéro pollution. Par ailleurs, outre la
révision en cours de 12 directives, il est actuellement mis en place une taxonomie pour favoriser les investissements qui protègent l’environnement.
On ne peut pas déconnecter le sujet du droit international, du droit communautaire mais tout ce qui est fait au niveau local est infiniment précieux. Il est important d’intégrer les règles dans le droit public, ce qui nécessite une parfaite collaboration entre experts
et juristes et il faut prendre toutes les mesures permettant de pérenniser les aménagements.
Nota : L’intégralité de ce colloque est accessible sur le site www.cepaa.fr à la page « Actualités ».
Rédigé par Sylvie Niocel-Palmieri, expert près la cour d’appel de Poitiers et Éric Moinard, vice-président de la CEPAA et expert près la Cour d’appel de Paris
REVUE EXPERTS N° 163 – AOÛT 2022 37
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