Le projet de loi relatif à l’industrie verte vise à réindustrialiser la France en focalisant sur des technologies vertes. C’est a priori de bon aloi mais, en réalité, c’est un projet très contradictoire car il comporte des dispositions de régressions environnementales manifestes sous couvert de verdir l’industrie. Ainsi si des points très positifs apparaissent en ce qui concerne par exemple le fonctionnement des installations classées pour l’environnement, le verdissement des marchés publics ou la sanction des transferts de déchets, ce projet de loi repose sur des prémisses fausses et, de ce fait, il méconnaît un principe désormais majeur du droit communautaire : celui de ne pas nuire à un autre intérêt écologique pour qu’une réforme ou une activité puisse être considérée comme durable. De nombreux exemples pourraient être donnés mais un seul suffira à décrire le mécanisme dont il est question.
Le choix de tenter de s’affranchir du statut de déchet pour des produits dangereux au seul motif qu’ils sont réutilisés dans un lieu géographique unique écarte l’application des règles qui permettent d’assurer que leur utilisation se fera sans risque pour l’environnement et la santé.
L’assouplissement des dérogations apportées au régime des déchet, pourtant très encadré par le droit communautaire pour prévenir les risques que peut entrainer leur mauvaise gestion, sont infiniment préoccupantes.
La consécration législative de cas d’exclusion du statut de déchet, notamment pour ceux produits sur des plateformes industrielles, est parfaitement illustratrice de cette politique de gribouille qui, sous prétexte de simplifier, crée en réalité une insécurité juridique et réduit considérablement les garanties sanitaires et environnementales acquises au cours des années.
Le prétexte est celui de favoriser l’économie circulaire. On aurait pu s’attendre à un chapitre particulièrement volumineux compte tenu de l’importance du sujet de l’écologie industrielle. Il n’en est rien. En réalité, ce chapitre ne comporte que deux dispositions : l’une qui concerne la mise en place d’un système d’amende administrative pour des transferts transfrontaliers de déchets illicites en sus des sanctions pénales, et l’autre beaucoup plus insidieuse qui concerne d’une part la sortie implicite du statut de déchets et d’autre part l’exclusion systématique de ce statut pour tous les déchets utilisés dans un processus de production sur une même plateforme industrielle.
Certes, la violation du droit communautaire était tellement patente dans le projet initial que, sur la suggestion du Conseil d’État, le Gouvernement a rajouté une phrase à l’article L.541-4-5 pour souligner que cela ne devait pas avoir d’incidence globale nocive pour l’environnement ou la santé humaine. Le texte a ensuite évolué au Sénat pour imposer le respect des conditions prévues par le droit européen. Il n’en demeure pas moins qu’il y a une méconnaissance évidente des principes de droit communautaire en ce qui concerne les déchets qui pose problème. En effet, et les multiples débats parlementaires le portent en filigrane, la création d’une forme de statut intermédiaire entre le déchet et le produit que prévoit le texte adopté au Sénat n’entre aucunement dans les règles communautaires.
Quant à l’exemption faite pour les plateformes existantes, qui sont à ce jour au nombre de quatre, elle constitue à l’évidence un risque sanitaire et environnemental considérable.
Tout d’abord, l’utilisation de l’expression « incidence globale » inquiéte car l’administration pourra toujours considérer que certains avantages, en termes de transport par exemple, vont compenser les inconvénients sanitaires. Mais surtout, le droit des déchets dangereux s’est amélioré progressivement pour encadrer leur incinération, car c’est de cela dont il s’agit, dans des règles plus strictes sur le plan sanitaire et environnemental. Le but de cette disposition, réclamée à cor et à cri par la chimie, est de dispenser celle-ci du coût de traitement des déchets dangereux afin de permettre leur réutilisation dans des chaudières installées sur les plateformes.
La question reste de savoir si ce type de procédé participe effectivement d’un processus de production, formule utilisée par le projet de loi. Cependant, ce qui est certain, c’est que les garanties sanitaires ne sont évidemment pas les mêmes, de même que les rejets dans l’environnement. En revanche, si le gouvernement avait voulu travailler sur l’écologie industrielle, beaucoup de solutions auraient pu être avancées, or ce n’est manifestement pas le cas.
À l’heure où ces lignes sont écrites, les débats à l’Assemblée nationale ont été si délicats que l’arbitrage devrait se faire dans le bureau du ministre Roland Lescure. Mais on ne peut être que stupéfait de voir la puissance des lobbys de la chimie qui ont la capacité d’obtenir non seulement des violations du principe de non-régression du droit de l’environnement et des réductions considérables en matière de protection sanitaire, mais encore de véritables mises en cause des principes et règles du droit européen.
Est-ce que cette industrie, dont l’activité est mondialisée, veut imposer un modèle de régression environnementale à la population française ? L’application du droit communautaire est le bouclier permettant éviter de telles dérives portant préjudice à l’environnement et la santé humaine.
Corinne LEPAGE, Avocate fondatrice du cabinet Huglo Lepage Avocats et ancienne ministre de l’Environnement