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[Droit de l’environnement et droit de la santé, une convergence obligée]

Christian HUGLO, Avocat à la Cour. Docteur en droit

Le droit de la santé et le droit de l’environnement ont été construits de façon entièrement
différente avec des objectifs a priori séparés.
Peut-on dire que cette situation doit être revisitée et repensée aujourd’hui ?
La santé, et en particulier la santé publique, a été conçue comme l’ensemble des activités
qui contribuent au maintien, à la restauration et à l’amélioration de la santé des individus
et des groupes et a toujours été une préoccupation de l’État qui a eu à faire face à toutes
formes de calamités, catastrophes épidémiques de nature à affecter plus ou moins
gravement la population et poursuivre envers et contre tout, le maintien du bien-être pour
tous les individus qui la composent.
Les préoccupations liées à la santé sont donc à la fois anciennes et constantes.
La question relative à l’environnement est beaucoup plus récente, elle a été posée à la fin
de la deuxième partie du XXe siècle face aux objectifs de croissance démographique et
économique qui ont multiplié les risques et les phénomènes de pollution et surtout
entraîné l’épuisement progressif des ressources, une atteinte difficilement réversible à la
biodiversité et, finalement, la multiplication des émissions de gaz à effet de serre.
Sur le plan strictement juridique, les objectifs juridiques portés par ces deux thèmes sont
aujourd’hui régis en droit interne par deux Codes entièrement séparés et publiés avec
environ 50 ans de décalage de l’un par rapport à l’autre.
Le droit de la santé obéit à une logique d’organisation administrative de prévention des
atteintes à la santé et finalement de permanence des soins.
Il a mis progressivement en place des structures et des organisations clairement désignées
à cette fin et il est relié au plan international par une institution forte relevant de l’ONU,
l’Organisation mondiale de la santé et ce, à la différence du droit de l’environnement qui
n’a qu’un faible appui auprès des Nations Unies puisqu’il se rattache seulement à un
programme désigné sous le vocable programme des Nations Unies pour l’environnement
(PNUE).
Si le droit de la santé remonte dans ses principes au moins au XIXème siècle, le droit de
l’environnement est apparu à la fin des années 1970 (la date de création d’un Ministère
de l’environnement remonte à 1971). Il est d’abord resté axé sur deux préoccupations,
78 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée
d’un côté la protection de la nature sur toutes ses formes et toutes ses variations et d’autre
part, la lutte contre les pollutions de toute nature.
Ses principaux outils ont été essentiellement fondés sur la reconnaissance de deux
impératifs, l’un lié à l’obligation de réparer les dommages écologiques, ce qui a pris plus
de 30 ans entre les premières décisions de justice et la loi dite de reconquête de la nature,
de la biodiversité et des paysages du 8 août 20161
, ensuite de l’obligation de réaliser une
étude d’impact écologique (aujourd’hui appelée évaluation environnementale pour tenter
de réduire les effets négatifs d’un projet sur l’environnement et assurer une forme de
compensation des dommages créés à l’environnement.
Si le champ des études de chacune de ces deux disciplines ne sont pas identiques et les
éloigne l’une de l’autre, à y regarder de plus près, celles-ci ne pouvaient rester
indifférentes l’une à l’autre.
Le tournant a été effectué dans les années 1990 la Cour européenne des droits de
l’homme de Strasbourg qui a assimilé le droit de l’environnement à un droit humain2
.
L’apparition du concept de santé environnementale défini par l’OMS à la Conférence
d’Helsinki en 1994 et le lancement en France au début des années 2000 du plan national
santé environnement, les ont rapprochés.
C’est surtout sous la pression des faits et des crises annoncées sur le climat et sur la
biodiversité (alliés à la pandémie de la Covid-19) qui ont bousculé les perspectives,
comme on ne peut que le constater.
Mais fort heureusement, la création d’un lien entre les paraît reposer sur une double base
théorique solide.
La première base théorique est celle opérée par le droit interne spécialement par la loi
sur l’air du 30 décembre 1996 par rattachement au droit de la santé3
.
En second lieu, le 2e pas a été accompli au niveau constitutionnel par la réalisation d’une
passerelle entre les deux disciplines, opérée à l’article 1er de la Charte constitutionnelle
de l’environnement de 2005.
Ce texte dispose en effet : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de sa santé ».
En procédant à une analyse minutieuse de ce texte, Mme le professeur Agathe Van Lang
souligne ses ambiguïtés mais surtout son intérêt.

1 Voir notre ouvrage, 50 ans de bataille pour l’environnement, Ed. Acte Sud 2021.
2 Voir en particulier, CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne, Requête n°16798/90.
3 Relayé par la loi du 30 décembre 1996 qui introduit dans l’étude d’impact environnemental l’obligation de
procéder à une étude des impacts d’un projet sur la santé humaine et surtout dans l’article 1er de ladite loi qui
a posé pour principe que « nul ne peut respirer un air qui nuise à sa santé »

En effet, la notion d’environnement équilibré recouvre la perspective du maintien de la
biodiversité et de l’équilibre des espaces et des milieux naturels ainsi que le bon
fonctionnement des écosystèmes et imposant un faible niveau de pollution.
Quant à l’expression « environnement respectueux de la santé », celle-ci, pour le même
auteur, paraît conçue comme une préoccupation plus collective qu’individuelle car cette
notion se rapproche du concept « d’environnement sain » fréquemment utilisé par les
constituants pour qualifier ce droit. En tout cas, cette conception est clairement
anthropocentrique, écrit-elle4
.
Il devient évident aujourd’hui que le droit de l’environnement et le droit de la santé ont
un avenir commun et devraient pouvoir fonctionner au mieux possible ensemble.
C’est une véritable révolution qui attend le droit de l’environnement qui doit devenir le
droit de l’anthropocène, sans pour autant étouffer les principes du droit de la santé qui
doivent plus que jamais être remis en avant.
Pour y parvenir, il faut d’abord reconnaître les liens entre la santé et l’environnement
(Ière partie) et ensuite reconstruire le droit autour de ce lien (IIème partie).
I. RECONNAÎTRE LES LIENS ENTRE LA SANTÉ ET L’ENVIRONNEMENT
L’une des difficultés les plus grandes actuellement est celle de la reconnaissance des
liens étroits gouvernant les rapports entre la santé et l’environnement.
Cette difficulté est malheureusement l’objet de polémiques assez peu admissibles, qui
vont au détriment de l’établissement d’un lien positif entre les deux notions : l’affaire du
glyphosate illustre cette tension5
.
Il existe encore bien d’autres exemples, comme l’affaire des lignes à haute tension6
, qui peuvent expliquer les multiples hésitations entre précaution et prévention, sans oublier
d’ailleurs la stigmatisation volontaire du principe de précaution comme prétendu facteur
de paralysie du progrès.
Une telle perspective n’est plus admissible lorsque l’on parle de choses aussi graves que
le Covid-19, dont les symptômes sont notamment aggravés par la pollution de l’air7
.
Aujourd’hui l’alerte a été lancée sur les liens existants entre l’apparition des virus et la
perte de richesse en biodiversité : dans un article du 25 mars 2020, Juliette DUSQUENE

4 Cf. VAN LANG A., « Droit de l’environnement », 5ème édition n° 78.
5 « Pas de glyphosate dans la commune », veille par Lucienne ERSTEIN, Énergie – Environnement –
Infrastructures n° 12, décembre 2019, alerte 182.
6 « Les lignes à haute et très haute tension et champs électromagnétiques : risques pour la santé », Notreplanète.info, 27 août 2019.
7 Coronavirus : la pollution de l’air est un « facteur aggravant », alertent médecins et chercheurs, MANDARD
S., Le Monde, 30 mars 2020.
80 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée
pointe du doigt le lien entre la baisse de biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies
dans le monde, en l’occurrence le développement du Covid-198
.
Elle souligne ainsi que, aux États-Unis, « le nombre de personnes infectées a en effet
baissé de 95 % entre 1900 et 1980. Et pourtant, au niveau mondial, le nombre
d’épidémies a été multiplié par plus de 10 entre 1940 et aujourd’hui. »
L’explosion des épidémies est due, selon elle, à la disparition de la biodiversité : plus la
biodiversité est forte, plus il existe de virus circulant à « faible bruit », c’est-à-dire qui se
transmettent mal car ils sont absorbés par des espèces jouant le rôle de véritables tampons
entre l’animal et l’homme.
Une étude sur la diversité des oiseaux nord-américains et le développement de la fièvre
du Nil occidental démontre ainsi que plus la population d’oiseaux est diverse, plus cette
diversité aide à protéger et filtrer cette infection et ainsi éviter sa propagation à l’être
humain. Pour un de ses auteurs, c’est une illustration importante du lien entre la
biodiversité et la santé humaine9
.
Or, les populations d’oiseaux ont chuté de plus de 25% ces dernières années en Amérique
du Nord10
.
C’est lorsque cette biodiversité chute, du fait notamment de la réduction de l’habitat
sauvage, de la disparition d’espèces étroitement liées à leurs habitats, que l’Homme
favorise les contacts et la transmission : « avec la déforestation, l’urbanisation et
l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver
jusqu’au corps humain et de s’adapter » dénonce Sonia SHAH11
.
Un même constat peut être dressé du fait de la disparition des forêts dans le Nord-Est
américain, où le développement urbain chasse les opossums, qui ont toujours contribué
à réguler la population de tiques, en servant d’hôtes pour celles-ci, au profit d’espèce
moins adaptées à cette régulation, comme le cerf. La conséquence directe de cet
appauvrissement est le développement de la transmission de la maladie de Lyme, passant
de 48,610 cas en 2016 à 59,349 cas en 2017 aux États-Unis12
.
Pour Inès LEONARDUZZI, la fréquence des épidémies s’est accélérée ces dernières années,
sans signe de décroissance à l’horizon, car notre mode de vie qui tend à détruire des
zones de vie sauvage, contraint des animaux porteurs de maladies à s’installer dans notre
habitat, sans espace entre la maladie et l’être humain : « C’est en fait tout notre mode de
fonctionnement qu’il faut mettre à jour13 ».

8 DUSQUENE J., « Covid-19 : La baisse de la biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies », 25 mars 2020,
Carnets d’alerte.
9 Requête n°16798/90, « Diversity Of Birds Buffer Against West Nile Virus», BirdLife International, 6 mars
2009.
10 ZIMMER C., « Birds are vanishing from North America », The New York Times, 19 septembre 2019.
11 SHAH S., « Contre les pandémies, l’écologie », 17 mars 2020, Le Monde diplomatique.
12 « Lyme and other tickborne diseases increasing », Centers for Disease Control and Prevention, 22 avril 2019.
13 LEONARDUZZI I., « Opinion | Coronavirus : le pangolin n’y est pour rien », Les Echos, 20 mars 2020.
Christian HUGLO 81

Ce lien a également été reconnu par des instances en charge de la protection de la
biodiversité. Dans le cadre de la déclaration de Gangwon, en Corée du Sud, à l’issue de
sa 12e
Conférence des parties, la Convention pour la diversité biologique a ainsi reconnu
« la valeur de l’approche « Un monde, une santé » pour traiter la question
intersectorielle de la diversité biologique et de la santé humaine, en tant que stratégie
intégrée […] qui tient compte des corrélations complexes entre humains,
microorganismes, animaux, végétaux, agriculture, vie sauvage et environnement14 ».
Elle encourage également ses parties à promouvoir au niveau national une coopération
entre agences responsables de la biodiversité, et celles en charge de la santé.
Les experts du GIEC alertent également sur le fait que le changement climatique entraîne
des risques de morbidité et de mortalité liés à la chaleur, à l’ozone et à certaines maladies
à transmission vectorielle plus importants 15 .Les déséquilibres écologiques sont à
l’origine de ces pandémies, et s’il n’y avait pas eu le Covid-19, une autre pandémie serait
survenue16. Notre situation actuelle est « un coup de boomerang qui nous revient à la
figure et que nous avons nous-mêmes lancé », selon les mots de Jean-François
GUÉGAN17
.
Et Serge MORAND, chercheur au CNRS-CIRAD, d’alerter : « si nous ne préservons pas la
biodiversité, les crises sanitaires vont se multiplier. Pour prévenir une prochaine crise
comme celle-ci, il faut traiter les causes plutôt que de se retrouver encore et encore à
traiter les conséquences18 ».
Il y a fort à parier que lors de la prochaine réunion à Kunming, en Chine, de la Conférence
des parties à la Convention pour la diversité biologique, ces questions seront au cœur des
débats.

II. RECONSTRUIRE LE DROIT AUTOUR DE CE LIEN
Il est évident qu’il serait présomptueux d’imaginer ce que pourrait être le droit
international tel qu’il résultera de la réunion chinoise précité en espérant que des
dispositions contraignantes, notamment sur l’obligation d’information et la coopération
scientifique en ressortiront – comme cela a été le cas à la suite de l’accident de
Tchernobyl où il n’avait pas fallu attendre six mois pour édicter une convention

14 Décision adoptée le 17 octobre 2014 par la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique,
dans le cadre de la douzième réunion à Pyeongchang (République de Corée), du 6 au 17 octobre 2014.
15 « Global Warning of 1.5°C, Summary for Policymakers », GIEC, 2018 et rapport du 4 avril 2022.
16 Propos de Serge MORAND, chercheur CNRS-Cirad, recueillis par Juliette DUQUESNE dans « Coronavirus :
“La disparition du monde sauvage facilite les épidémies” », Marianne, 17 mars 2020.
17 LINDGAARD J. et POINSSOT A., « Le coronavirus, ‘un boomerang qui nous revient dans la figure’ », 22 mars
2020, Médiapart.
18 DUSQUENE J., « Covid-19 : La baisse de la biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies », 25 mars 2020,
Carnets d’alerte.
82 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée
internationale qui s’imposait, notamment sur l’information de la population en cas
d’accident nucléaire19
.
La crise actuelle doit transformer la révélation du lien intrinsèque entre la protection de
l’environnement et notre santé, en une véritable institutionnalisation de notre
appréhension de ce lien.
La cause de la crise environnementale étant globale, la réponse apportée par le droit doit
également être globale.
Plus modestement, au seul niveau national, il faut bien constater, que cette défaillance
est connue mais non traitée. Et la critique la plus forte est celle qui a porté sur la faiblesse
des plans santés et environnement.
Si, le Conseil général de l’environnement et du développement durable souligne en effet
dans un rapport d’avril 2013 que « les écosystèmes rendent des services qui sont
bénéfiques à la santé » et que « la préservation de la biodiversité est aussi un enjeu de
santé », cette reconnaissance n’a pas été traduite en actes20
.
Dans un article relatif à la loi santé de 201621, Madame le Professeur Béatrice PARANCE
critique les faiblesses de la prise en considération de ce lien, aux yeux duquel les
prévisions de cette loi paraissent bien maigres : « de nombreux élus et associations ont
fortement regretté que cette loi n’ait pas permis d’avancer plus avant sur la question des
risques liés aux substances chimiques, dont certaines ont des fonctions de perturbation
endocrinienne, aux pesticides ou encore aux nanomatériaux. Seules deux questions ont
retenu l’attention en substance, celle de la qualité de l’air et celle de l’amiante22 ».
Elle rappelle également le jugement sévère porté par la Cour des comptes sur les
politiques nationales de lutte contre les pollutions atmosphériques 23 , qui « affirme
d’emblée le caractère artificiel de la volonté politique de lutte contre la pollution
atmosphérique alors même que les coûts sanitaires et économiques liés à cette pollution
sont très importants. »
La référence à des expériences étrangères serait la bienvenue : en effet, l’initiative « Un
monde, une santé » de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de
la santé animale (OIE) a pour ambition de créer des liens entre la santé humaine, animale,
et environnementale, pour garantir le développement et la santé globale de tous les
organismes24
.
19 Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire, 26 septembre 1986.
20 Les liens entre santé et biodiversité, Rapport d’avril 2013 du Conseil général de l’environnement et du
développement durable, n°008095-01.
21 Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
22 PARANCE B., « Les faiblesses de la prise en considération du lien Santé Environnement dans la nouvelle loi
santé », Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, 1er mars 2016, pages 119-121.
23 Cour des comptes, Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, 21 janvier 2016.
24 L’approche multisectorielle de l’OMS, « Un monde, une santé», septembre 2017.
Christian HUGLO 83

Elle invite les professionnels de la santé publique, la santé animale, la santé végétale et
de l’environnement, à « unir leurs forces à l’appui des approches « Un monde, une
santé », qui permettent de « détecter, traiter et prévenir efficacement les flambées
épidémiques de zoonoses et les problèmes de sécurité sanitaire des aliments ». Ces
actions invitent également « les responsables des administrations publiques, les
chercheurs et les travailleurs travaillant aux niveaux local, national, régional et
mondial » à « mettre en œuvre des interventions conjointes pour répondre aux menaces
qui pèsent sur la santé ».
Mais, le malheur avait voulu que le Président des États-Unis de l’époque avait décidé la
mise entre parenthèse des lois environnementales pour une durée indéterminée, dans le
contexte du Covid-1925… Heureusement, ce n’est plus aujourd’hui de mise, mais on ne
sait jamais.
Aujourd’hui, plusieurs directions doivent être explorées :
Pour Yuval NOAH HARARI, une bataille s’engage dès aujourd’hui pour faire de notre
santé un terrain de surveillance accrue, et une donnée partagée non seulement avec notre
État mais potentiellement d’autres États26
.
Pour Inès LEONARDUZZI, cette pandémie doit engendrer un « plan social écologique »
qui aurait pour but d’intégrer l’écologie et les principes du développement durable dans
une démarche transversale27
.
Dans un second temps, des « états généraux du futur de l’agriculture et du bien-bâtir »
viseraient à repenser le modèle de construction agricole autour de ces principes de bonne
gestion écologique.
Ces états généraux « seraient l’occasion de définir de nouveaux modes d’expansion, des
circuits courts et une consommation française à la fois équilibrée et responsable. Pour
cela, on pourrait s’orienter vers l’habitat et l’agriculture verticale, l’écoconception ou
le réemploi des matériaux et respecter les saisonnalités. Cela permettrait par ailleurs
d’assainir les sols, rétablir des forêts pour y réintégrer oiseaux et animaux délogés, en
cours d’extinction, et rééquilibrer les écosystèmes naturels ».
Il n’y a pas seulement à regarder du côté du droit de l’agriculture et de l’alimentation,
mais aussi du droit des techniques spécifiques qui ont créé le droit de l’environnement.
Il s’agit ici de parler brièvement de la nécessaire extension du droit de l’évaluation
environnementale, notamment lorsque la biodiversité, et en particulier la biodiversité
forestière, doit être impliquée.
La jurisprudence internationale en matière d’étude d’impact climatique a réussi ce tour
de force d’obliger les auteurs d’étude d’impact à se préoccuper non seulement, des effets
25 BEITSCH R., « EPA suspends enforcement of environmental laws amid coronavirus », The Hill, 26 mars 2020.
26 HARARI Y.-N., FRAMMERY C., « Le monde après le coronavirus », Le Temps, 24 mars 2020.
27 LEONARDUZZI I., « Opinion | Coronavirus : le pangolin n’y est pour rien », Les Echos, 20 mars 2020.
84 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée
directs, mais également des effets indirects d’un projet ; Une affaire judiciaire tranchée
en Australie illustre bien ce propos : l’administration australienne reprochait à un projet
d’équipement minier consacré au charbon et dans lequel l’aspect indirect de la
production du charbon, c’est-à-dire la vente de ce charbon dans le monde, n’avait pas été
mesurée au regard des critères du réchauffement climatique – c’est ce qu’on appelle
l’évaluation de l’effet indirect28
.
L’idée ici serait d’orienter la recherche sur les effets d’un projet appauvrissant la
biodiversité sur le risque de développement viral, étude délicate on en convient, sans
doute très onéreuse, mais totalement nécessaire.
De même, la question des élevages intensifs, vecteurs de virus29, devrait être repensée en
incluant cette même dimension. C’est dire qu’il faut condamner clairement les tentatives
qui ont lieu en France de réduire, voire même d’écarter l’étude d’impact, et l’évaluation
environnementale d’un projet30
.
Pour Laurent FONBAUSTIER, l’urgence environnementale impose de s’interroger
clairement sur les « modes de production, de distribution et de consommation
écologiquement et socialement très néfastes […] depuis longtemps généralisés et
juridiquement permis. Leur traitement supposerait un changement d’échelle, une
modification du regard sur les liens de causalité, ainsi qu’un dépassement d’une optique
strictement juridique et contentieuse. À mi-chemin […] dans certaines situations,
l’intervention d’un juge serait inopérante ou inadaptée, et la « pression sociétale »
semble alors la seule issue possible pour faire changer les comportements
individuels31 ».
Finalement, c’est une véritable révolution du droit de l’environnement, fondée sur le
droit de la santé, et donc le droit à la vie, qu’il faudra entreprendre ; l’opération sera
difficile car la tentation reste forte à l’issue de la guerre en Ukraine et de la crise du Covid
de privilégier le court terme sur le long terme.
Une autre piste, celle-ci théorique, devra absolument être explorée demain, que l’on
appelle le concept « one health ».
Ce concept vise, selon une communication du Conseil scientifique Covid 19 rendue
publique le 8 février 2022, à mettre en lumière les relations entre la santé humaine, la
santé animale, les écosystèmes et à faire le lien entre l’écologie et la médecine humaine
et vétérinaire.

28 THUILLIER T., « Dialogues franco-australiens sur la justice climatique », Energie – Environnement –
Infrastructures, LexisNexis, 2019, pp.46 ; voir également à ce sujet, Méthodologie de l’étude d’impact
climatique: Droits européen, français et anglo-saxon, Christian HUGLO, 1ère édition, Bruylant, 2020.
29 CAILLOCE L., « Quand l’homme favorise les épidémies », 23 septembre 2014, Journal du CNRS.
30 HUGLO C., « Évolution du droit de l’environnement : entre le chaud et le froid », Énergie – Environnement

Infrastructures n° 3, Mars 2020, repère 3.
31 FONBAUSTIER L., aperçu « Rapport « Une justice pour l’environnement ». Des constats lucides et des
préconisations fortes, sources d’inspiration d’un projet de loi en cours d’adoption », La Semaine Juridique
Edition Générale, n° 10, 9 Mars 2020, 260.
Christian HUGLO 85
Elle se décline en concept « éco health » qui prône l’approche écosystémique de la santé
et tendant à se concentrer sur les problèmes environnementaux et socio-économiques.
Il est lié au « concept de santé de la planète » qui prend en compte les limites physiques
et biologiques planétaires au sein desquelles la santé, le bien-être et l’équité pour
l’humanité peuvent se développer ce qui comprend le concept de santé environnementale
qui contient les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie qui sont
déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux
et esthétiques de notre environnement.
En définitive, le droit de l’environnement doit de ce côté devenir un droit pilote et il a
une vocation universaliste comme il doit être un droit du vivant qui devait permettre une
nouvelle approche du concept même de droit naturel, nous ne sommes pas encore prêts
à faire ce pas.
A cette fin, il faudrait que l’effort accompli par le GIEC soit réalisé par l’IPBES32 et que
les réunions relatives à la biodiversité qui se déclinent également en conférences des
parties aient le même succès que les résultats que ceux apportés par les travaux du GIEC.
Il faudrait alors que le multilatéralisme, caractéristique essentielle et constructive du droit
international se redéveloppe ce, alors que dans le contexte actuel de guerres et de
divisions nationales qui envahissent notre vue à court terme de l’horizon, la situation
paraît plus que fragile.
Il n’en reste pas moins qu’elle sera construite encore une fois au niveau des efforts que
fait la société civile.
Tel est l’intérêt actuel que présente l’expérience du contentieux climatique, qui reconnaît
une valeur particulière à l’obligation climatique et qui se décline, soit à partir de la Cour
suprême de Hollande dans un droit l’homme33, soit comme un impératif de l’objectif
maximal d’augmentation des gaz à effet de serre en pourcentage par rapport à la base de
90, à 1,5° résultant de l’accord de Paris du 15 décembre 2015 ou mieux encore,
référencée aux générations futures selon l’arrêt de la Cour fédérale de Karlsruhe qui,
dans sa décision du 21 mars 2021, reconnaît l’obligation à la charge de chaque génération
présente de réserver le droit à un même environnement et un même droit à la santé pour
chaque génération future.
Quand on voit le barrage qui a été effectué lorsque le Gouvernement français a voulu
modifier l’article 1er de la Constitution qui devait réunir à la fois l’impératif de la lutte
contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité et à travers elle, le
droit de la santé, on peut se dire que le chemin est encore long à accomplir mais comme
32 L’IPBES est une organisation indépendante dont la structure et les méthodes sont calquées sur celles du GIEC.
33 Articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 2 visant le droit à la vie, l’article
8 visant le droit à la vie familiale normale exempte d’agression par la pollution.
86 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée
l’a écrit le poète allemande HÖLDERLIN, plus grand est le péril, plus grand est ce qui
sauve.
L’espérance et la ténacité qui accompagnent la plupart de vos contemporains ne sauraient
rester des mots vains car il y va ici d’une constante essentielle à l’humanité, tout
simplement mais fondamentalement le maintien de sa dignité.